Chroniques

Armes en Ukraine : les bons sentiments, l’hypocrisie et l’inconséquence des Occidentaux

En s’alignant aveuglément sur la politique américaine et la guerre larvée de l’OTAN contre la Russie, les dirigeants européens ont écarté définitivement toute résolution du conflit ukrainien par la diplomatie, analyse Roland Lombardi.

«Il n’y a rien de plus coûteux pour un marchand d’armes que la paix» (Film Lord of War).
Les puissants complexes militaro-industriels des cinq plus gros marchands d’armes de la planète, à savoir les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ! –, passent d’un conflit à un autre pour engranger les profits en se frottant les mains. La guerre a toujours été dans l’histoire l’entreprise la plus lucrative pour les Etats comme pour certains particuliers. Nous avons tous en mémoire le nom de Basil Zaharoff, célèbre marchand d’armes du début du XXe siècle et archétype du «profiteur de guerre», qui parvenait à vendre ses armes à tous les pays en guerre de par le monde, comme aux forces de la Triple-Entente et en même temps aux forces de la Triple-Alliance pendant la Grande guerre ! Pas étonnant donc que le commerce des armes intéresse alors aussi les «marchands de mort» non enregistrés au registre du commerce et qui entretiennent par ailleurs des relations parfois équivoques avec les autorités…

Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Editions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Editions, 2021)

Car c’est bien connu, en temps de paix, le trafic de drogue, mais également le trafic des armes sont les plus rémunérateurs pour le crime organisé. Les guerres sont en général une formidable opportunité pour les tenants de ces deux activités criminelles et bien évidemment surtout de la seconde. Un Victor Bout, par exemple, n’avait rien à envier, en termes de puissance financière et d’influence, aux plus gros caïds des cartels de la drogue ou des grands parrains des différentes mafias américaines, russes ou méditerranéennes.

Bref, tout conflit génère donc toujours une accélération, une augmentation et une prolifération des trafics d’armes. C’est un truisme. Liban, Afghanistan, Yougoslavie, Syrie, Libye… les exemples d’affaires liées à ce commerce illicite sont légion. La guerre en Ukraine qui sévit depuis plus de six mois ne déroge bien évidemment pas à la règle.

Depuis le début de l’intervention russe, près de 85 milliards d’euros d’aide militaire, financière ou humanitaire avaient déjà été versés à Kiev. Les Etats-Unis sont de loin les premiers donateurs, avec près de 49 milliards d’euros déjà annoncés depuis la fin du mois de janvier 2022, dont 25 milliards en aide militaire (56% du total). La proportion de l’aide militaire est à peu près la même pour la quarantaine de pays, dont la plupart des Etats de l’Union européenne, fournissant une aide à l’Ukraine. Il est difficile d’en faire un détail précis, vu que des pans entiers de cette aide en matériels de guerre sont d’ailleurs classés secret défense.

Mais cette fourniture massive et historique d’armes à l’Ukraine est devenue un sujet sensible pour les Occidentaux.

Un certain nombre de médias anglo-saxons et européens se sont fait l’échos des inquiétudes de quelques analystes et d’officiels quant à l’explosion du trafic des armes autour des livraisons occidentales. CNN, le Washington Post, Le Figaro, Le Monde… ont alors évoqué le manque de «transparence» de la part des Ukrainiens sur la traçabilité des livraisons, en particulier sur les munitions et les armes de petits calibres.


Ukraine/Union européenne : vers un suicide géopolitique européen

Quant au directeur général d’Interpol, l’organisation internationale de police criminelle basée à Lyon, il s’inquiète aussi de « la grande disponibilité d’armes du conflit actuel qui entraînera la prolifération d’armes illicites dans la phase post-conflit ».

Mais depuis septembre, reprenant la propagande ukrainienne et OTANienne, une petite musique a commencé à se faire entendre pour qualifier ces déclarations : «rumeurs», « fake news» ou «propagande russe».

Dès lors, les nouveaux mots d’ordre des responsables américains et européens sont le «silence» et le «pas de vague». Le problème demeure et s’intensifie cependant.

Or, dans le contexte actuel de la formidable guerre communicationnelle que livre aussi l’OTAN contre la Russie, il ne faut pas «salir» Zelensky et ternir l’image de la nouvelle idole du «Camp du Bien», et de son gouvernement. Car tous les spécialistes s’accordent à dire que les autorités ukrainiennes, ainsi que certains officiers de l’armée, seraient impliqués dans les trafics d’armes entre autres avec des gangs, des chefs de milices ou des Seigneurs de guerre peu scrupuleux. N’oublions pas que l’Ukraine est l’une des plus grosses plaques tournantes du trafic international des armes depuis la chute de l’Union soviétique au début des années 90. Que la corruption est endémique à tous les échelons de l’administration. En 2021, l’Ukraine était le troisième pays le plus corrompu du continent européen. La même année, Volodymyr Zelensky, ses proches et ses alliés politiques ont été piégés par les fameux Pandora Papers.

Quoi qu’il en soit, les mafias de l’Europe de l’Est sont puissantes, féroces, influentes et surtout très actives dans la zone. En lien avec les autres organisations criminelles et le grand banditisme de l’Europe de l’Ouest, la crainte des services spécialisés est que certaines armes (comme les fusils d’assaut et surtout les missiles antichars Javelin ou pire, antiaériens comme les Stinger) tombent dans de mauvaises mains. Celles des jihadistes comme des activistes d’extrême-droite. Il y a d’ailleurs des précédents : ce sont des armes en provenance de l’ex-Yougoslavie qui ont été utilisées par le «Gang de Roubaix» dans les années 1990 et plus tard, par les terroristes qui ont frappé ces dernières années l’Europe occidentale, notamment lors des attaques de Paris du 13 novembre 2015.

En attendant, en dépit de la récente occultation du sujet de la part des médias aux ordres des gouvernements occidentaux, tous les services spéciaux européens sont en alerte et tirent la sonnette d’alarme sur ce problème pourtant bien réel.

L’inconséquence criminelle des responsables de l’UE

Est-il raisonnable de la part des dirigeants européens de suivre aveuglément la politique erratique et belliqueuse de l’administration Biden ? Car elle est claire à présent : transformer l’Ukraine en un bourbier de type afghan pour la Russie, en l’affaiblissant et dans l’espoir de déclencher un changement de régime à Moscou. Au-delà du risque d’une Troisième Guerre mondiale ou d’un conflit nucléaire, les conséquences géopolitiques seraient catastrophiques et dévastatrices pour une Europe en première ligne.

Par ailleurs, les peuples européens supportent de moins en moins que les dirigeants et les technocrates non élus de Bruxelles les impliquent dans une guerre qui n’est pas la leur.

D’autant que les sanctions maximales de l’UE votées contre la Russie se transforment déjà en «auto-sanctions». Et ce sont les populations qui doivent faire des efforts et des sacrifices pour faire face à leurs funestes répercussions que sont l’inflation, la récession, les pénuries de gaz et les nouvelles précarités sociales. Ubuesque !

Les Européens dans leur grande majorité ne comprennent pas non plus qu’ils doivent, eux, se serrer la ceinture alors que les gouvernements de l’Union européenne ont donné à l’Ukraine des aides bilatérales (11,74 milliards d’euros) et des aides communes provenant des fonds de l’Union européenne (11,54 milliards d’euros), soit un total de 23,28 milliards d’euros (l’aide globale de la France à Kiev a été portée à 2 milliards de dollars) dont on l’a vu, une partie conséquente est composée par les fournitures militaires. Tout ceci au nom de la «Liberté», «contre la tyrannie», de la «Démocratie», des «droits de l’Homme», des «valeurs», de la « morale » et tous les bons sentiments habituels…

Pour l’heure, toujours au mépris de l’avis, des intérêts et de la sécurité élémentaires de leurs administrés, les leaders européens continuent à s’aligner sur la guerre larvée de l’OTAN contre la Russie. Ils rejettent totalement tout dialogue et règlement négocié du conflit car «il faut battre la Russie», quoi qu’il en coûte !

Position éminemment irréaliste et inconséquente. Car cette Croisade antirusse hystérique, délirante est autodestructrice pour l’Europe. Un véritable suicide géostratégique !

Certes, les «marchands de canons» se frottent les mains devant les dépenses massives qu’impliquent les exigences de cette jusqu’au-boutiste et folle politique de nos élites déconnectées des réalités, soumises et aux ordres des «puissances de l’argent» (Mitterrand) et de la haute finance anglo-saxonne ou chinoise. De véritable «docteurs Folamour» inconscients et terriblement dangereux.

Or, en attendant un chaos géopolitique général au cœur de l’Europe, le flux des armes inhérent aux livraisons du matériel militaire occidental à Kiev ne fait qu’entretenir la guerre en sacrifiant le sang des Ukrainiens. Comme avec les sanctions économiques votées contre Moscou par leurs chefs, cette fuite en avant guerrière, avec toutes ces armes dans la nature, risque fort d’avoir pour les Européens, à terme disons-le, le même effet boomerang, mais en bien plus tragique et sanglant !

Roland Lombardi




Guerre en Ukraine : quelques leçons de l’histoire… – par Roland Lombardi


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