Chroniques

La centrale nucléaire de Zaporojié et les limites de la propagande, par Karine Bechet-Golovko

Alors que l'AIEA s'apprête à publier son rapport sur la centrale nucléaire de Zaporojié, l'analyste Karine Bechet-Golovko accuse les médias occidentaux de ne sélectionner que les informations favorables au narratif ukrainien sur le conflit.

Le traitement du conflit en Ukraine par les médias français en particulier et atlantistes en général a toujours été orienté. Il a toujours suivi le positionnement de leurs gouvernements «pro-ukraine» et «pro-atlantiste», puisqu’il s’agit de la seule conception acceptable vis-à-vis de l’Ukraine aujourd’hui. Comme le déclarait Jules, dignement, dans le Nekrassov de Sartre : «Je suis un journal objectif, un journal gouvernemental et mes opinions sont immuables tant que le gouvernement ne change pas les siennes.»

Manifestement, l’objectivité et la dignité journalistiques n’ont pas évolué depuis. Sans sourciller aucunement, France 2 nous fait prendre une cheminée pour un obus, LCI nous somme de frissonner d’angoisse à la menace de douches radioactives dans la centrale nucléaire de Zaporojié et chacun insiste sur le fait que la Russie, qui a le contrôle de la zone, se bombarde elle-même. Pendant ce temps-là, l’Ukraine reconnaît avoir bombardé cette région… ce qui ne provoque aucune réaction, ni politique, ni médiatique.

Pas une analyse des deux tentatives de prise d’assaut de la centrale nucléaire par l’armée ukrainienne, avec l’aide de pays de l’OTAN, notamment au moment de l’arrivée de la délégation de l’AIEA présidée par Rafael Grossi. Il a fallu attendre une réponse du porte-parole de l’ONU pour que discrètement l’organisation remercie à contrecœur la Russie d’avoir assuré la protection de la mission, rappelant immédiatement que cela est normal. Sans aucun mot sur la mise en danger de cette même mission par l’Ukraine elle-même, qui avait pourtant garanti cette visite. Rien.

Pas un mot non plus dans les médias sur la pétition remise par 20 000 habitants de la ville d’Energodar, voisine de la centrale, qui voulaient que Grossi lance un appel à la communauté internationale pour que l’Ukraine cesse de les bombarder. Où est cet appel ? Quel média occidental s’en est préoccupé ? Aucun. À la place, France Inter laisse parler les habitants d’Energodar de leur frayeur des bombardements, en sélectionne quelques-uns «bien» disposés pour en faire des experts nucléaires et ensuite interviewe l’ancien maire de la ville, qui, lui, parle en ukrainien, pour accuser la Russie de les mettre en danger. La manipulation est grossière, les paroles des habitants sont replacées dans un autre contexte, détournées, et les ragots sont remontés au niveau de preuve médiatique.

L’on peut continuer longtemps cette liste, il ne s’agit pas d’exemples particuliers, mais d’une ligne politique, d’une politique rédactionnelle. À ce niveau, il me semble important de faire deux remarques.

Tout d’abord, il s’agit bien, en ce qui concerne l’Ukraine, de la mise en place d’un discours politico-médiatique totalisant, qui ne laisse justement aucune place ni à l’objectivité, ni à l’analyse. Quand Amnesty International ose pointer du doigt la stratégie militaire ukrainienne militarisant des sites civils, mettant ainsi systématiquement en danger la vie des gens, ce qui une violation caractérisée des conventions de Genève, ce n’est pas l’Ukraine qui est critiquée par le discours politico-médiatique atlantiste, mais Amnesty qui doit même s’excuser d’avoir eu l’outrecuidance de dire la vérité. L’objectivé n’est pas de mise et la dignité est en sommeil, trop encombrante. Les discours politiques et médiatiques sont entremêlés, il est devenu impossible de les distinguer. C’est bien en cela que les médias atlantistes sont tombés dans la propagande la plus basse. Ils ont cessé d’être un contre-pouvoir, même putatif, pour n’être qu’un instrument de pouvoir, un serviteur parfois très empressé.

Qui dit journalisme de guerre dit journalisme engagé

Ensuite, nous sommes bien dans le cadre d’un journalisme de guerre, donc d’un journalisme engagé. Les médias en Occident sont sommés de se diviser en «atlantistes» et en «pro-russes», les premiers sont qualifiés «d’objectifs», puisqu’ils reprennent la propagande atlantiste, les seconds sont qualifiés de «propagandistes», puisqu’ils ne reprennent pas la propagande atlantiste. C’est simple, c’est clair. Pourtant, formellement, ni la France, ni aucun pays de l’OTAN n’est en guerre contre la Russie. Ce qui ne les empêche pas de se laisser instrumentaliser pour façonner cette figure de l’ennemi. Décidément, Jules est bien notre rédacteur en chef, il nous sort des Nekrassov à tour de bras : «Nekrassov s’apprête à faire au monde entier des révélations stupéfiantes. Il sait par cœur, entre nous, le nom des vingt mille personnes que le commandement soviétique s’apprête à fusiller quand les troupes russes occuperont la France».

Vous avez des doutes ? France 3, dès la mi-mars, nous avait trouvé quelques Nekrassov, des expatriés Russes qui savent bien évidemment que la Russie «ne va pas s’arrêter là», ils sont en France et ils ont peur d’être en danger. Les Nekrassov ukrainiens remplissent le contenu des médias français, qui tiennent la position ukrainienne pour ligne éditoriale.


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Certes, c’est la guerre. Et l’on pourrait penser que, même si formellement les pays de l’OTAN ne sont pas en guerre contre la Russie, ils font bien la guerre à la Russie par l’intermédiaire de l’Ukraine, en lui fournissant des armes, des hommes et des fonds, alors pourquoi ne pas lui fournir un discours ?

Parce qu’en l’occurrence, il s’agit d’une centrale nucléaire. Au cœur du continent européen. Et qu’il n’est ni dans l’intérêt des Européens, ni des Ukrainiens, ni des Russes qu’elle soit touchée. En revanche, il est dans l’intérêt du commandement atlantiste de prendre nos populations en otage et de développer un chantage à la contamination nucléaire. Les États-Unis ont toujours mené des guerres sales, des guerres loin de chez eux, il n’y a aucune raison qu’ils portent plus d’attention à leurs «colonies européennes», qu’ils n’en ont porté à leurs «colonies» en Asie ou au Moyen-Orient. Et les médias en Occident, en jouant le jeu de la propagande de guerre dite «pro-ukrainienne», sans s’intéresser à l’opinion des Ukrainiens ne partageant pas leur position atlantiste radicale, permettent à ce risque d’augmenter.

S’il ne s’agit pas d’éthique professionnelle, au moins l’instinct de survie devrait être une limite à la propagande. Pour notre sécurité à tous, il est fondamental que les médias osent devenir un contre-pouvoir et acceptent de regarder objectivement ce conflit en Ukraine, dans ses racines historiques, dans son contexte géopolitique, dans ses enjeux, du point de vue de l’intérêt des pays européens, qui n’est pas celui des États-Unis. Il est urgent que les médias cessent de mener leur chasse aux sorcières et de qualifier de sorcières à brûler sur l’échafaud médiatique toute personne qui tient un discours différent. Il est urgent d’avoir le courage du pluralisme et non pas de se réjouir du rétrécissement du discours public toléré, comme Patrick Cohen se demandant à quoi servait de fermer RT et Sputnik si c’est pour laisser les propos de Ségolène Royal circuler. L’on ne peut pas donner carte blanche au commandement atlantiste en Ukraine, l’on ne peut pas utiliser la propagande pour légitimer un risque de catastrophe nucléaire, c’est une question de bon sens. La guerre a aussi ses règles et ses limites, l’on se doit de rester Humain en toute condition. Comme les journalistes se doivent de rester des journalistes en toute circonstance.

Karine Béchet-Golovko




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