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Le général Aoun quitte la présidence, la fin d’une ère pour le Liban ?

Michel Aoun a quitté le palais présidentiel libanais. Adulé autant que détesté, l'ancien général n'en demeure pas moins une figure emblématique de l'histoire du Liban. Retour sur son parcours militaire et politique semé d'embûches.

L’homme providentiel du Liban des années 2000 tire sa révérence, après six années à la tête de la présidence. Sous les yeux de ses partisans venus en nombre, Michel Aoun a fait le 30 octobre ses adieux au palais présidentiel de Baabda. La foule émue brandissait des portraits du général, des drapeaux orange du Courant patriotique libre (CPL), son parti, et le pouce et l’index levés, signe de ralliement de son mouvement.

La veille de son départ, l’homme de 87 ans était tout sauf optimiste pour l’avenir du Liban. Répondant aux questions de Reuters le 29 octobre, il évoquait le fait que le pays pouvait sombrer dans le «chaos constitutionnel». En effet, les députés du Parlement libanais n’ont toujours pas réussi à trouver un successeur au général Aoun. Parmi les noms évoqués, celui de Gebran Bassil revient souvent. Le chef du Courant patriotique libre est son favori pour la présidence. Mais le gendre de Michel Aoun doit faire face à Michel Moawad, leader de l’opposition, au candidat pro-syrien Sleiman Frangié, ou encore à Samir Geagea leader des Forces libanaises qui aurait le soutien de l’Arabie saoudite.

Michel Aoun aurait pourtant pu terminer son mandat sur une note positive. Le Liban et Israël ont en effet officiellement conclu le 27 octobre un accord délimitant leur frontière maritime, après des mois de négociations ardues par l’intermédiaire des Etats-Unis, qui assure la répartition de précieux gisements gaziers offshore en Méditerranée orientale.

Une aubaine pour un pays englué dans une crise multidimensionnelle. Pour balayer les doutes sur une prétendue normalisation des relations avec l’Etat hébreu, le président libanais a insisté sur la non politisation de cet acte. Diversement apprécié au sein de l’opinion publique, l’ancien chef de l’armée libanaise a cristallisé durant son mandat une bonne partie des critiques populaires pour son inaction face aux multiples crises. Pourtant, le général Aoun reste un personnage emblématique de l’histoire contemporaine du Liban. 

Prédestiné à une carrière militaire 

Né le 18 février 1935 à Haret Hreik, dans un quartier populaire de Beyrouth, Michel Aoun grandit à l’époque du mandat français. Depuis 1920, la France administre le Liban en se focalisant notamment sur la majorité chrétienne de l’époque. Très vite, il fréquente les écoles chrétiennes de la capitale libanaise, mais le jeune adolescent est particulièrement intéressé par une carrière militaire. Il termine ses études et s’engage à l’Académie militaire, dont il devient officier cadet en 1955.

Pour se professionnaliser, Michel Aoun va se former plusieurs années en France à l’Ecole d’application d’artillerie de Chalons sur Marne (1958-1959), puis à Fort Sill, dans l’Oklahoma aux Etats-Unis (en 1966) et à l’Ecole supérieure de guerre, en France (1978-1980). Il revient définitivement au Liban en 1980, alors que le pays est plongé dans une guerre civile aux multiples ramifications, entre milices pro-palestiniennes et milices chrétiennes, sous la férule de l’occupation syrienne et israélienne. La capitale Beyrouth est divisée en deux, l’ouest de la ville est contrôlée par la communauté musulmane et l’est par la communauté chrétienne. 

En 1983, Michel Aoun devient commandant de la 8e brigade. Il défend ainsi les résidus des régions gouvernementales, notamment sur le front de Souk el-Gharb, face à la milice du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, appuyée par la Syrie. Devant l’apprêté des combats et face à son courage, il est promu général de l’armée libanaise le 23 juin 1984. Devenu ainsi le protecteur du gouvernement libanais, sa responsabilité n’a de cesse d’augmenter durant la guerre. 


Entre le Liban et Israël, un accord sur le tracé des frontières maritimes mais pas de normalisation

En septembre 1988, le président libanais, Amine Gemayel, quitte le pouvoir sans successeur. Face à l’urgence de la situation et pour éviter le chaos politique, le 22, il nomme Michel Aoun à la tête d’un gouvernement militaire exceptionnel dont la tâche est d’assurer l’élection d’un nouveau chef de l’Etat. En plus d’être Premier ministre (fonction qui revient normalement à un sunnite), il devient également ministre de la Défense nationale et ministre de l’Information et conserve son poste de commandant en chef de l’armée. Le général devient populaire et façonne son discours patriotique, s’opposant à toutes formes d’ingérences et d’occupations.

Le 14 mars 1989, Michel Aoun lance une «guerre de libération» contre l’armée syrienne présente au Liban, qui se conclut sans succès. Il reçoit cependant l’aide militaire de Saddam Hussein, farouchement opposé à la Syrie et à Hafez el-Assad pour des questions de leadership sur le parti Baath. A partir de cette date, il se retranche dans le palais présidentiel de Baadba, tandis que les régions sous son contrôle sont bombardées par les troupes syriennes.

Il prône alors une mobilisation populaire pour dénoncer la tutelle syrienne sur le pays avec la mise en place de l’accord de Taëf, signé en Arabie saoudite en 1989, censé mettre fin à la guerre civile. Michel Aoun s’y oppose alors fermement car, selon lui et comme plusieurs responsables politiques de l’époque, ce document négocié sous l’influence du Maroc, de l’Algérie, du royaume saoudien et des Etats-Unis, légitimerait de facto la présence syrienne au Liban. De surcroît, face aux agissements des Forces libanaises dirigées par Samir Geagea, Beyrouth plonge dans une guerre inter-chrétienne pour le contrôle des résidus territoriaux chrétiens. 

Le 13 octobre 1990, c’est la chute : Hafez el-Assad chasse le général rebelle Michel Aoun en bombardant le palais présidentiel de Baabda le 13 octobre 1990. Le chef de l’armée libanaise annonce sa reddition et se réfugie dans l’ambassade de France. Il sera évacué en France le 30 août 1991, où il vivra pendant quinze ans. Ce serait en raison du soutien syrien à la première guerre du Golfe, contre l’Irak de Saddam Hussein, que Damas aurait obtenu un feu vert américain pour la mainmise sur le Liban. 

Le volte-face géopolitique du général 

En exil, le général Aoun ne quitte pas la politique, bien au contraire. Durant la décennie 1990, il multiplie les rencontres, les sommets avec des personnalités politiques. Il fait de sa lutte contre la tutelle syrienne au Liban son véritable leitmotiv. En 1996, depuis la France, il lance son propre mouvement politique, le Courant patriotique libre, prônant un Liban indépendant et souverain. Le 18 septembre 2003, Michel Aoun témoigne devant une sous-commission de la Chambre des représentants américaine pour le vote de la «Syria accountability and Lebanese sovereignty restoration act». Adopté, ce document prône notamment des sanctions contre la Syrie en raison de «son soutien au terrorisme et son occupation du Liban».

L’occupation syrienne devient de plus en plus impopulaire au Liban. L’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafik Hariri le 14 février 2005, imputé à la Syrie, pousse une marée humaine dans les rues de Beyrouth pour demander le retrait des troupes syriennes du pays. Les forces de Damas quittent le pays du Cèdre en avril, ce qui laisse le champ libre à Michel Aoun pour son retour tant attendu. Accueilli en héros national, l’homme providentiel revient définitivement au Liban le 7 mai 2005. Un mois plus tard, son parti politique remporte 23 siège aux élections législatives. Petit à petit, Michel Aoun prend ses distances avec les partis anti-syriens. 

Cette rupture est scellée avec la signature le 6 février 2006 d’un document d’entente avec le Hezbollah, dans l’église Mar Mikhaël à Chiyah, dans la banlieue sud de Beyrouth. Depuis les deux courants politiques s’alignent sur les choix de politiques intérieurs et extérieurs. Tout un symbole, il se rend dans la capitale iranienne en octobre 2008 pour rencontrer le président de l’époque Mahmoud Ahmadinejad. En décembre de la même année, il est invité par Bachar el-Assad à Damas et tourne ainsi la page de ses années de lutte contre la Syrie.

En l’espace de deux voyages hautement symboliques, Michel Aoun prend fait et cause pour l’axe de la résistance dirigé par le binôme syro-iranien. Durant tout le conflit syrien, le général s’est gardé de prendre position. Il est resté neutre tout en évitant de critiquer son allié du Hezbollah qui intervenait auprès des troupes de Bachar el-Assad.

De la quête du pouvoir à la désillusion

Après plusieurs années d’instabilité politique avec des élections perdues, contre toute attente, son ancien ennemi et adversaire politique Samir Geagea se retire de la course à la présidentielle en 2016, lui annonçant son soutien. Une véritable consécration pour l’ancien exilé politique. Après plus de deux ans de vacance présidentielle et 46 séances électorales pour que les députés libanais se mettent enfin d’accord, Michel Aoun, 81 ans, est devenu le 31 octobre 2016 le 13e président du Liban depuis l’indépendance en 1943. Cette victoire concrétise un peu plus la domination d’un camp pro-Syrie sur le Liban. Il débute son mandat alors que la guerre en Syrie fait rage, que le Yémen est déchiré et que la présidence américaine de Donald Trump impose une pression maximale sur l’Iran.

Pourtant, malgré une victoire aux élections législatives de mai 2018 qui était pourtant de bonne augure pour son parti, le mandat de Michel Aoun vire peu à peu au cauchemar. Le Liban sombre dans un chaos qui ne dit pas son nom. En octobre 2019, après l’imposition d’une taxe sur l’application Whatsapp, des milliers de manifestants descendent dans les rues pour demander le départ de tous les partis politiques. Tour à tour, les Forces libanaises et les Kataeb démissionnent et même le Premier ministre Hariri prend un temps ses distances avec le gouvernement. Ainsi, le parti de Michel Aoun et notamment son gendre Gebran Bassil cristallise une partie de la rancœur populaire. On reproche notamment au général d’être devenu une marionnette aux mains du puissant Hezbollah. 


Naufrage meurtrier au large de la Syrie, le Liban se mue en une terre d’exil

De surcroît, le pays du Cèdre plonge dans une crise économique sans précédent. A cela s’ajoute la terrible explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui a fait plus de 200 morts et rasé une partie de la capitale libanaise. Les habitants pointent du doigt l’inaction du président libanais. Malheureusement pour lui, Michel Aoun ne peut faire grand-chose face à cette situation délétère. Ses deux principales fonctions sont en effet la participation à la formation du gouvernement et la convocation et la direction du conseil supérieur de défense. 

Les crises s’enchaînent, le pays manque d’électricité, de carburant, de produits de premières nécessités et plus de 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le Liban connaît l’une des pire crises économiques depuis 1850. Pour Michel Aoun, le coupable n’est autre que le directeur de la Banque centrale du Liban : Riad Salamé. Cet indéboulonnable banquier est pointé du doigt par le président libanais pour avoir laissé pourrir cette situation. Il est également dans les petits papiers de la justice française et suisse pour corruption, détournement de fonds et blanchiment d’argent. 

Toujours est-il que, malgré l’impasse dans laquelle se trouve le général Aoun, son mandat est perçu par une partie des libanais comme une véritable descente aux enfers. Son départ de la présidence était pour ses détracteurs la condition sine qua non pour relever le pays. 

Semé d’embûches, son parcours politique reste représentatif d’un Liban ingouvernable, tant par sa constitution communautaire que par sa géographie. Michel Aoun rêvait d’une nouvelle Constitution et appelait de ses vœux une laïcité à l’orientale, pour mettre fin aux divisions intrinsèques. A l’instar de son combat face à la présence syrienne en 1989, pour son combat politique le général Aoun n’avait pas les moyens de ses ambitions. 




L’impasse politique se prolonge au Liban après l’échec des députés à élire un nouveau président


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