Chroniques

Les armes, condition de la Pax Otana, par Karine Bechet-Golovko

L'Occident ne cesse de fournir davantage d'armes à Kiev. Une politique de cobelligérance, soutient Karine Bechet-Golovko, qui pourrait mener les dirigeants devant les tribunaux internationaux, pour complicité de crimes de guerre.

Stoltenberg ne cesse de le répéter ces derniers temps, la paix se construit par les armes, car comme de bien entendu, «la guerre, c’est la paix». Nous avons eu droit fin décembre à «le soutien militaire à l’Ukraine est le chemin le plus rapide vers la paix», suivi début janvier de «les armes sont, en réalité, la condition de la paix». C’est bien pour cela qu’il peut affirmer que l’OTAN est une organisation de paix. Et il a raison, c’est celle de la Pax Otana. Cette «paix» globale, qui se fait au prix des États…

Ce prix peut être compris de différentes manières. Évidemment, la fourniture incessante d’armes au régime ukrainien coûte cher, mais comme Stoltenberg l’a déclaré, de toute manière ces pays n’ont pas le choix, car sinon tout ce système défendu par l’OTAN serait en danger. Alors ils s’exécutent docilement.


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La France, à la fin de l’année 2022, a déjà bien participé : 18 canons Caesar de 155 mm et des milliers d’obus, produits par l’industriel français de l’armement Nexter.  Et cela s’ajoute aux 15 canons tractés TRF1 de 155 millimètres et à la formation des militaires ukrainiens. Mais aussi «des missiles antichars, notamment des missiles Milan, adaptés contre les véhicules blindés et les bâtiments, et des missiles anti-aériens Mistral. L’armée française a en outre offert des véhicules de l’avant blindé (VAB), des véhicules de transport, des équipements individuels comme des casques et des gilets pare-balles ou encore des munitions et du carburant». Pour autant, la France n’est qu’en 10e position de l’aide militaire apportée à l’Ukraine, bien loin derrière les États-Unis, l’Allemagne, la Pologne ou la Grande-Bretagne, ce monde global qui a pris les armes – ou en tout cas les a fournis. L’Allemagne de son côté a encore envoyé en janvier un puissant système militaire, composé de plusieurs dizaines de véhicules Marder. La Grande-Bretagne fait monter les enchères et vient d’annoncer la fourniture de 14 tanks Challenger 2, ce qui est une première et marque une nouvelle évolution de «l’aide» apportée par ces pays à l’Ukraine.

Pourtant, la quantité de «l’aide» fait lentement mais sûrement glisser ces pays qualitativement dans la catégorie des pays cobelligérants. Le ministère russe des Affaires étrangères a d’ailleurs reproché à la ministre Catherine Colonna de ne pas assumer la politique de cobelligérance menée par la France, ce que le porte-parole de l’ambassade de Russie en France a aussi exprimé en ces termes :

«À en juger par la ligne politique française, on ne peut pas considérer la France en tant que pays ami. Cette France qui aurait pu jouer tout son rôle dans le règlement du conflit ukrainien. Imaginez ce que ça signifie pour les Russes quand la France, avec laquelle nous avions depuis trois siècles des relations absolument extraordinaires et à laquelle en 1915 notre pays a envoyé 20 000 soldats pour se défendre, fournit les canons et les chars pour tuer les Russes.»

La France considère-t-elle la Russie comme un ennemi ?

Cette qualité de cobelligérant, c’est-à-dire cet État ou cette Nation qui se bat aux côtés d’un autre État contre un ennemi commun, a des conséquences, au minimum politiques. Lorsque l’on envoie des armes, lorsque l’on forme les militaires d’un pays en guerre contre un autre pays, l’on est cobelligérant. Autrement dit, l’on devient partie au conflit. La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne sont parties au conflit, qui est mené depuis longtemps par les États-Unis contre la Russie et qui a pris aujourd’hui une forme militaire active et directe. Autrement dit, la France considère-t-elle la Russie comme un ennemi ?

Or, ces pays luttent pour un combat qui n’est pas le leur, sans l’accord formel et procédural de leurs institutions, sans l’accord politique de leurs populations. Ils font la guerre sans le dire, par procuration, par l’intermédiaire des Ukrainiens, par l’intermédiaire des mercenaires et divers «volontaires», qui sont envoyés discrètement sur le front. Les médias russes ont par exemple diffusé une interview d’une habitante de Solédar, qui s’est enfuie de la ville lors des combats, déclarant que de nombreux hommes en uniforme y parlaient anglais et polonais.

Donc non seulement ces pays membres de l’OTAN, par soumission, sont entrés en guerre sans en avoir la légitimité politique intérieure, et sans pouvoir revendiquer de fondement légal aux décisions qu’ils adoptent en la matière, mais en plus ils savent pertinemment, que les armes qu’ils fournissent sont notamment utilisées contre les populations civiles.

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L’on se souviendra du rapport d’Amnesty International condamnant l’Ukraine pour avoir commis des crimes de guerre, en militarisant des sites civils particulièrement protégés par les Conventions de Genève, à savoir les écoles ou les hôpitaux, et les utilisant comme point de tirs, mettant ainsi en danger les populations civiles. L’on se souviendra aussi de la réaction internationale, qui n’a pas été de critiquer l’Ukraine, manifestement toutes les élites dirigeantes étaient déjà au courant, mais Amnesty International pour avoir osé le dire publiquement.

Tout ceci pose la question de la responsabilité de ces pays, fournisseurs d’armes à l’Ukraine, dont l’armée commet des crimes de guerre. Il y a d’ailleurs un précédent sur la question, qui est resté sans réponse juridique, car les enjeux politiques sont trop importants. En 2019, Amnesty International voulait que le procureur de la CPI se penche sérieusement sur la chaîne des responsabilités des vendeurs d’armes au Yémen : «L’ECCHR a soumis, avec le soutien de cinq autres ONG, une communication de 300 pages (voir le “case report”) comprenant des éléments de preuve au bureau de la procureure de la CPI pour demander à la CPI de mener une enquête afin de savoir si la responsabilité pénale de hauts dirigeants d’entreprises et de gouvernements européens peut être engagée en ce qui concerne la fourniture d’armes utilisées par des membres de la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour commettre de possibles crimes de guerre au Yémen. Il demande l’ouverture d’une enquête sur leur complicité présumée dans 26 frappes aériennes qui ont illégalement tué ou blessé des civils et détruit ou endommagé des écoles, des hôpitaux et d’autres biens protégés.» La liste des écoles, des hôpitaux et autres lieux protégés visés dans le Donbass par l’armée atlantico-ukrainienne est longue.


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La réglementation internationale en matière de fourniture d’armes a beaucoup évolué ces dernières années. Un traité sur le commerce des armes a été adopté dans le cadre de l’ONU en 2013 et est entré en vigueur en 2014. Il a été signé par 130 pays, notamment par la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Pologne et les États-Unis, qui sont les principaux fournisseurs d’armes à l’Ukraine. Or, selon l’article 6 point 3 de ce traité, il est fait interdiction de fournir des armes à un pays, «s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie».

Les élites dirigeantes des pays membres de l’OTAN, seraient-elles les seules à ne pas être au courant des bombardements incessants de Donetsk ? Il ne suffit pas de museler les médias, pour que les crimes n’existent pas. Ces crimes peuvent ne pas exister médiatiquement, cela ne les empêchera pas d’exister juridiquement, dès qu’ils seront portés devant une juridiction – certainement à la fin de cette guerre. Toutes les guerres se terminent un jour et elles se terminent différemment pour les vainqueurs et pour les vaincus.

Les élites et les industriels des pays membres de l’OTAN ont-ils réellement envie de finir comme des criminels de guerre ? N’ont-ils pas intérêt à tirer les leçons de l’histoire ? Car, c’est finalement la seule question à laquelle ils se doivent de répondre. Si malgré cela, ils s’entêtent, pensant être allés trop loin pour faire marche arrière, qu’ils osent alors formellement demander à leur population, si elle veut que le pays tout entier, que la France, que la Grande-Bretagne, que la Pologne, que l’Allemagne, devienne un État criminel. Car fournir des armes entraîne une véritable responsabilité : et devant ses concitoyens, et devant les juridictions nationales, autant qu’internationales.

Par Karine Bechet-Golovko




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